L'île du Oolong

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Voyager sur l’ïle de Taïwan

C’est toujours avec un plaisir non dissimulé que je me rends sur l’ïle de Taïwan et ce depuis plus de 15 ans maintenant. Les voyages professionnels peuvent être parfois pesants et moins grisants au fil des années mais la gentillesse et une élégance certaine des taiwanais vous font vite oublier les contraintes du voyage. Cette dernière excursion jusqu’au cœur même de cette île subtropicale à la fin de l’hiver 2016, ne fera pas exception. Je rentre la tête remplie de souvenirs au cœur de plantations dans les contrées les plus recluses de Da Yu Lin ou encore des montagnes de d’Ali Shan. Aujourd’hui, l’île doit sa notoriété au thés semi fermentés appelé communément les Wu Long (ou Oolong) constitué de 3 catégories les Wu Long (aux formes de perle), les Bai Hao Wu Long et les Bai Zhong.

Comment oublier le sourire généreux de Madame Wu, pleine d’entrain et de vie, heureuse de me faire partager quelques moments alors que la première récolte de Printemps bas son plein au coeur de sa plantation de Sun Moon Lake ? Comment oublier la fierté de ses producteurs de grands crus de thé qui font la réputation mondiale de l’île ? Ces producteurs souvent récompensés lors des ‘’Tea Contests’’ organisés par les autorités gouvernementales affichaient un large sourire, heureux de me faire découvrir leurs liqueurs - certes un peu surpris et circonspects de me voir intéressés à leur production et plus habitués à avoir la visite de négociants taiwanais (‘’tea dealers’’) leur assurant des revenus annuels réguliers. Les contraintes de la langue, la susceptibilité des marchands locaux avec qui ils sont liés par contrat et les contraintes sanitaires européennes, ne doivent pas faire oublier la réalité d’un marché avec des structures et des règles de commerce sont très proches de celles du monde du vin finalement - alors avoir accès à ces faiseurs de grands crus aurait pu relever de l’utopie !

L’Oriental Beauty

Mon voyage a commencé par le district de Hsin Zhu et les villages de Beipu et EMei, situés à une centaine de kilomètres au sud-ouest de Taipei et dont les plantations ne dépassent pas 200 m d’altitude. Ces 2 villages forment le centre névralgique de l’un des crus les plus connus de Taiwan et de Chine : l’Oriental Beauty.

Ce thé récolté en Août est de la catégorie des Bai Hao, Il est semi fermenté à plus de 60% et tire ses caractéristiques d’un procédé naturel singulier, celui d’un insecte qui va altérer la feuille et l’oxyder naturellement. Pour permettre ce procédé, toute utilisation de pesticide est proscrite et donne donc un thé bio.

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A cette occasion, j’ai rencontré 3 des principaux producteurs renommés pour la qualité de leur Oriental Beauty. J’ai pu apprécier l’humilité de M. Yang notamment, tout surpris de son 1er prix du ‘’National Tea Contest’’ et de se trouver nez à nez avec un français de bon matin pour déguster et échanger sur les saveurs de son thé.

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Les liqueurs de Gao Shan

Le contraste est marquant avec la visite suivante. Je retrouve un personnage plein d’assurance, M. Xu, plus habitués aux récompenses et ne cachant pas sa réussite. Les dégustations successives laissent apparaitre des feuilles sèches intactes, riches en bourgeons avec une liqueur de couleur cuivrée. On y trouve des notes de sous-bois et de vanille entre autres. La palette aromatique est importante et complexe mais si je devais donner un seul arôme floral, je dirais celui de la rose.

Les liqueurs de Gao Shan - thé de haute montagne de la catégorie des Wu Long - me procurent une exaltation comme peu de thés, en tout cas jusqu’à aujourd’hui ! Un bon thé est un comme un bon vin, on a envie d’en reprendre, d’y revenir !

C’est aussi simple que ça - car avant de décrire les points olfactifs et gustatifs d’un thé - tel un initié - ne recherche-t-on pas cette sensation simple du plaisir - je trouve une forme de plénitude avec le Gao Shan et ses arômes légers et fins accompagnant une belle longueur en bouche. La liqueur est d’un couleur verte prononcée, aux feuilles roulées en forme de perles (tout comme le dong ding, Jin Xuan, Gao Shan).

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La région de Da Yu

C’est donc dans la région de Da Yu Lin que mon voyage initiatique verra son point culminant à près de 3000 m d’altitude. Début Mars, la montagne Da Yu est recouverte encore de neige et le brouillard y est persistant comme une bonne partie de l’année dans cette région subtropicale. Le contraste entre le district de Hsin Zhu et Da Yu Lin est saisissant et goûter des thés de hautes montagnes à près de 2500 m dans des baraquements semi ouverts est quelque peu pittoresque. Passé le col enneigé, je me suis arrêté au kilomètre K100, K97,5 et K95 ou m’attendaient 3 des derniers producteurs du Da Yu Lin. L’image de M Chen à près de 85 printemps, au visage buriné et au sourire d’un enfant de 10 ans m’amuse encore, Avec seulement 180 kilos de production par an avec un jardin de 4000 m2, la demande reste bien plus importante que l’offre sur son île.

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Pour des raisons qui m’échappent aujourd’hui, la plantation K105 de M. Lin réputée pour la qualité de ses Gao Shan a été arrachée en 2015 sous la pression des autorités locales qui souhaitaient voir disparaître cette plantation et laisser la nature reprendre ses droits. Il venait d’obtenir encore un 1er prix national. Les Gao Shan de Da Yu Lin sont-ils destinés à disparaître ?

La région du Sun Moon Lake

Redescendons sur terre ! avec un passage dans la région du Sun Moon Lake, Un contraste détonant avec le Da Yu lin puisque je me retrouve à 300 m d’altitude, le climat y est frais mais tempéré en cette période de l’année. Je marque un arrêt à l’un des plus beaux endroits de l’intérieur de l’île à l’hôtel LAU. Du standing d’un palace parisien, il surplombe le lac du même nom; j’y ai déjeuné, mes papilles s’en souviennent encore !.Réputée pour sa production de thé noir, mon séjour fut marqué par la visite de la plantation bio de Madame Wu. Nous commençons par la dégustation de 3 thés noirs récoltés à 3 périodes différentes à savoir fin aout, début septembre et Mars 2015.

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Contrairement aux Wulong récoltés idéalement au Printemps, le pic de qualité des thés noirs de cette région se situe à la fin de l’été. Les cultivars du Black Jade, ainsi dénommé, sont Assam n° 80 et 21 pour les initiés. Le résultat est plus que plaisant et avec le recul, c’est sans doute l’un des meilleurs thés noirs goûtés jusqu’à ce jour, tout pays confondus, Pour un thé bio, c’est à mon avis remarquable.

Les feuilles sont torsadées, longues, je dirai aérienne procurant des saveurs de sucre de canne, ‘’sweet lim’’ et cinnamon’’. Idéal pour le matin ! En pleine récolte, Madame Wu nous emmène sur l’une de ses parcelles à dos ‘’de camion ‘’nain’’ Suzuki pour y retrouver ses dames cueilleuses de 75 ans de moyenne d’âge ! toutes aussi souriantes et charmantes que la ‘’patronne’’. Je participe alors modestement sur son site de production, au déchargement des feuilles fraîchement récoltées dans de grands bacs pour une période séchage et de ventilation, première étape cruciale avant le départ en fermentation.

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La région de Ali Shan

Ce voyage se prolonge avec la région de Ali Shan avec une altitude moyenne de 1500 m où l’on y produit des Wulong de printemps et d’hiver. Monsieur Chien, propose à la dégustation un Zu Loo, une liqueur proche en dégustation des Gao Shan, aux feuilles roulées plus compactes. Ce thé est certes un peu moins parfumé que les Gao Shan du Da Yu Lin ou du Sun Lin Sia mais reste de très bonne facture. Le Jian Xian est un wulong aux feuilles roulées, légèrement fermenté aux arômes laiteux. Nous terminons la dégustation par un Black Jade de hautes montagnes avec des notes de miel, et sucrées. S’en suit, la visite de sa plantation le sourire aux lèvres comme en témoignent les photos. Une visite très agréable qui m’aura permis d’apprécier l’une des régions phares de Taïwan et dont la production est vendue essentiellement en Chine et sur le marché domestique.

Taipei

Je termine ce périple par la dégustation des thés Bao Zhong dans le district de Taipei sur Piligin à 45 minutes de la capitale, sur les hauteurs des montagnes proches. Ma rencontre avec monsieur Kao est quelque peu singulière. Producteur hors norme devenu bouddhiste il y a 3 ans après un voyage au Tibet, M. Kao respire la ‘’zénitude’’ et la gentillesse et vit littéralement sa passion du thé. Je me retrouve ainsi au milieu d’une forêt dense pour y découvrir ses théiers sauvages de plus de 100 ans, sa fierté. Une fois récoltées au printemps, les feuilles sont ‘’toastées’’ avec ses propres mains sur une période de 2 mois suivant la récolte (contre 3 jours normalement), un procédé lent à l’image de sa philosophie de vie faite de légèreté, de calme, et de lenteur. La faible quantité annuelle en fait un thé rare et cher ….en quelque sorte, le ‘’Henri Jayer’’ (icône du vin de Bourgogne) du thé et les prix vont malheureusement avec…. Un thé rare délicat et remarquable qui vous relaxera aux arômes floraux et de fruits rouges.

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"At least but not last", je fais un clin d’œil amical à Frank, Hsing-Ya et bien sûr Eric Lin sans qui ce voyage n’aurait pas pu avoir lieu. Une belle initiation aux thés de cette belle île aux contrastes saisissants...